Héritage

La fabrication des fleurs artificielles était maîtrisée dès l’Antiquité. Les pharaons de l’Egypte ancienne les façonnaient en papyrus tandis que la Chine impériale impressionnait le Vénitien Marco Polo avec ses délicates fleurs de soie. Le navigateur les fit voyager jusqu’en Italie où s’établirent des ateliers dédiés à la confection de végétaux artificiels reconnus en Europe pour leur belle facture.

En France, la production de fleurs artificielles fut grossière jusqu’au 18e siècle et l’arrivée à Paris d’un botaniste-chimiste dénommé Seguin qui mit au point des techniques de fabrication grâce auxquelles la fleur artificielle fit illusion et rivalisa avec son modèle naturel. L’invention de nouveau outils, tels que l’emporte-pièce et le gaufroir, révolutionna cette industrie de la mode. Madame de Pompadour, la reine Marie-Antoinette et les impératrices Joséphine et Eugénie, redoutables « faiseuses de tendances », lancèrent, dans leur siècle, la mode des fleurs en tissu portées en coiffe, en corsage ou sur les crinolines.

La Révolution de 1789 mit un terme temporaire à cette activité mais, la page révolutionnaire tournée, le luxe reprit ses droits à Paris. Les ateliers de fabrication de parures florales se multiplièrent et les fleuristes se comptèrent par dizaines de milliers. La profession atteignit des sommets sous la Restauration (1814-1830), époque durant laquelle la femme fait du port de fleurs un signe d’élégance et de chic.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la modernisation liée à l’industrialisation galopante et une certaine idée du progrès finit par imposer un style de vie standardisé et fonctionnel qui bannit les fioritures et les arts de l’embellissement. La fleur en tissu fut exclusivement réservé aux maisons de haute couture.

Résurrection

En 2021, Bernard Depoorter acquiert 16 tonnes de matériel ancien et non reproductible, en provenance de onze ateliers historiques parisiens de parurerie florale (Louis Sebillon, Vallerand, Vunderlisch, Ets-Daniel André Legrand & CieJules Boudy, Les Demoiselles Tissot, Léon Lhomer, Noémie Fromentin, Rubée, Judith Barbier).

Après Chanel, le couturier-artisan devient le second détenteur de la plus importante collection d’outils rarissimes spécialisés dans la confection de fleurs et de feuilles artificielles.

Paris, ville des fleuristes

L’origine des maisons remonte pour la plus ancienne à 1727 et pour la plus récente à 1790. La plupart étaient installées sur la rive droite, en plein coeur de Paris, entre le 1er et le 3e arrondissement, à proximité des gares du Nord et de l’Est d’où la production partait vers des destinations nationales et internationales (Faubourgs St-Honoré & St-Martin, Daunou, Pasquier, Uzès, Echequié, Notre Dame de Nazareth). Seule la maison Au Lys de Pâques se situait sur la rive gauche de la Seine, rue de Sèvres et rue du Bac.

De manière plus marginale, plusieurs maisons délocalisaient une partie de leur production dans la banlieue parisienne.

Avalanche de fleurs

Face à la concurrence, les maisons se sont rapidement spécialisées. Certaines préféraient la décoration d’intérieur et l’art de la table, tandis que d’autres excellaient dans les  secteurs de la mode et de la chapellerie. Décoration de maisons, d’églises, fleurs pour les mariages, les enterrements, les communions, les fiançailles ou les baptêmes, la fleur artificielle faisait partie du quotidien. Pour les moins fortunés, quelques maisons vendaient même des fleurs en kit à monter soi-même. Les boutiques des fleuristes étaient des cabinets de curiosités où, en plus des fleurs, on pouvait trouver un matériel varié tels que chapeaux de paille, rubans, pistils, tissus variés, gaufroirs, mandrins à bouler, emportes-pièces, fil de laiton, etc.

Des doigts de fée

La spécialisation pouvait être poussée à l’extrême avec une production ciblée (fleurs d’oranger, feuillages, calices de rose, pistils, fil de laiton, étamines…) des montages (bouquet, guirlande, coiffes, colifichets, couronnes, boutonnières pour hommes, gerbe) ou encore l’usage de matériaux originaux (verre, papier mâché, gélatine, paille, métal, os de baleine, cire, coquillage, cheveux, or, argent). Certaines maisons étaient reconnues mondialement pour leur spécificité florale (rose, pavot, camélia ou encore violette) et il était commun que les ateliers allient à la fois les métiers de fleuriste et de plumassier afin de diversifier leur production en fonction des saisons.

Du beau monde

Les fleuristes créaient pour l’Elysée, les cours royales, les maisons de haute couture (Worth, Paul Poiret, Coco Chanel, Schiaparelli, Christian Dior, Balenciaga…), le cinéma, le théâtre, l’opéra, les cabarets, les ballets et les églises.

Des palais à la scène

Certaines maisons étaient au service de grands aristocrates comme Madame de Pompadour, Madame Dubary, la reine Marie-Antoinette, les impératrices Joséphine, Marie Louise, Eugénie et Sissi, l’anglaise Victoria et Elisabeth de Belgique mais aussi des femmes célèbres et des artistes masculins tels Luisa Casati, la belle Otero, Marcel Proust, Robert de Montesquiou, Joséphine Baker, Mistinguette, Jacqueline Delubac, Wallis Simpson, Marlene Dietrich, Grace Kelly, Audrey Hepburn.

Apogée

Le métier atteignit son pic de développement dans les années 1900. On trouvait pas moins de 65.000 ouvriers en France, dont 20.000 en province et 45.000 à Paris. Les hommes étaient chargés de la teinture et de la découpe des pétales et des feuilles. Les femmes s’occupaient du gaufrage des pétales et du montage. Elles grimpaient dans la hiérarchie en commençant par le poste de toupillonneuse (guipeuse) pour ensuite évoluer vers des fonctions précises comme feuillagiste, verdurière, herbeuse, piquetière, guirlandière, couronnière et monteuse.

Jardin suspendu

La Belle Époque (1908-1913) fut l’âge d’or des fleuristes. Les dames de la bonne société portaient des chapeaux opulents, exubérants, dégoulinants de fleurs, de plumes, de fruits et d’oiseaux. De véritables jardins ambulants exécutés par les 2000 petits ateliers et grandes maisons parisienne.

Déclin

La Première Guerre mondiale sonna les glas du métier. Outre la tristesse et l’horreur des temps, les outils en métal furent réquisitionnés pour l’effort de guerre et la confection des armes et des douilles. À noter qu’une partie des ateliers confectionnèrent des feuillages-camouflages pour les chars de l’armée. Au sortir de la guerre, la vie ne fut plus pareille et, l’automobile se développant, les chapeaux furent remisés. La Seconde Guerre Mondiale donna le coup final à une industrie déjà déclinante. En 1946, on ne recensait plus que 277 ateliers de fleuristes à Paris. En 1970, le dernier ciseleur d’art encore capable de fabriquer les outils du parurier floral, à Briançon, mit la clé sous le paillasson.

Une industrie d’exception

Après les années 1980, le marché français fut inondé de milliers de fleurs en plastique ou en tissu fabriquées à Taïwan notamment, moins fines et moins chères que la production locale en soie. Les ateliers survivants font faillite les uns après les autres et les curateurs récupèrent et vendent pour la fonte des tonnes d’outils. Les années 1980-1990 ne comptent plus que 15 maisons de fleuristes, et, en 2000, plus que 3 (Lemarié, Guillet et Légeron) rachetées par Chanel. Seules restent à ce jour 5 maisons au monde possédant une importante collection d’outils – New York, Allemagne, France (2) dont Chanel et Belgique (Manufacture Depoorter). Un artisan en France réalise encore les pistils et les  étamines; seuls une trentaine de petits artisans, dans le monde, réalisent des fleurs en tissu.

Madame Pinaud

Madame Pinaud, fleuriste, fut employée jeune par la Manufacture parisienne Wonderlich. Quand elle vécut sa fermeture, elle avait atteint le poste de chef d’atelier N’étant pas encore en âge de prendre sa retraite, elle décida de poursuivre son activité grâce aux outils rachetés. Madame Pinaud créa, dans le Sud-Ouest de la France, sa société, Fleuristyle, et choisit de se reconvertir dans le secteur alimentaire (confiserie). Sa petite entreprise fonctionna bien grâce à la vingtaine d’ouvrières des villages alentours dont elle récoltait les fleurs une fois par semaine. Madame Pinaud cessa définitivement ses activités en 2019 juste avant la crise sanitaire.

Monsieur Depoorter

Bernard Depoorter, guidé par les judicieux conseils de sa collaboratrice Maryse Genet, racheta les 16 tonnes de matériel destiné à la parurerie florale de Madame Pinaud et les fit transporter dans son atelier de Wavre (Belgique) en janvier 2022.

Aujourd’hui, la Manufacture Depoorter prend le relais de Fleuristyle et crée une entreprise prometteuse, riche de ses valeurs éthiques et bien décidée à naviguer entre respect de la tradition parurière, innovation, archéologie industrielle, transmission du savoir et écologie.