Après une première vie consacrée avec succès à la haute couture, Bernard Depoorter opère une mue. Enthousiasmé par la découverte, puis l’achat de seize tonnes d’outils anciens, le couturier et styliste, épris d’histoire et d’arts, ouvre, si pas la première, l’unique manufacture belge de fleurs en tissu, un artisanat moribond.
Une folie, diront certains, « l’oeuvre de ma vie », répondra Bernard Depoorter. Certainement l’aboutissement d’une quête exigeante du beau idéalisé, entamée depuis plus de vingt ans, ainsi que la concrétisation d’efforts volontaires pour sauver et transmettre un patrimoine artisanal en lien avec son métier de couturier.
Au terme de négociations serrées et d’une expédition romanesque en Charentes-Maritimes, de vieilles machines endormies, des outils métalliques patinés par la rouille, des cartons d’archives et des mètres de tissu non encore utilisés, en provenance de onze maisons historiques de paruriers floraux, ont pris leur quartier dans ce qui fut à Wavre, au 19ème siècle, une imprimerie familiale locale.
Et, miracle, tout fonctionne, les méfaits du temps n’ayant pu avoir prise sur un matériel fabriqué pour durer. Seuls les gestes et les façons de fabrication sont à réapprendre pour qu’éclosent des fleurs qui, à leur tour, franchiront l’épreuve des années.
Hormis des projets audacieux de production d’accessoires de mode et d’objets de décoration intérieure, la création d’un musée vivant et d’un centre de formation au métier de parurier floral anime Bernard Depoorter. Car l’homme devenu mature a acquis en autodidacte une telle somme de connaissances qu’il n’envisage pas son avenir sans partage ni confrontation pacifique avec des talents jeunes et moins jeunes afin de faire évoluer la fleur en tissu du 18ème siècle en fleur technologique du 21ème siècle.
Cela implique l’usage de matériaux modernes comme le plastique recyclé ou le métal issu du tri sélectif pour inventer des bouquets inédits qui ne se priveront pas d’un regard vers le passé avec l’usage de la plume ou du cheveu dans le process de fabrication.
Il en va de même pour l’apprêtage des tissus et leur teinture qui aujourd’hui bénéficient de produits moins toxiques, plus efficaces et plus variés pour laisser libre cours à une imagination débridée, libérée des codes traditionnels de l’imitation et de la restitution à l’identique.
Bernard Depoorter n’a pas attendu les premières commandes pour se lancer dans l’expérimentation de ce qu’il nomme son Jardin d’Acier et rêver des fleurs osant les couleurs, les dégradés, les formes et les matériaux les plus inattendus tels la fleur de Lune, le chrysanthème plumetis et les géraniums d’automne;
La parurerie florale n’est donc pas démodée ? Sans aucun doute, elle le fut mais ne devrait plus l’être car elle est une alternative propre et durable à la culture de la fleur coupée naturelle, source inimaginable de pollution en raison de son mode intensif de production (dont les Pays-Bas sont les champions) et de son transport (par exemple la rose du Kenya) dont l’empreinte écologique est calamiteuse.
En attendant que les initiatives locales de production de fleurs naturelles, saisonnières et sans intrants chimiques ne se multiplient, il va sans dire que la fleur artificielle produite comme un petit chef-d’oeuvre miraculeux, de manière artisanale et durable est le meilleur des compromis pour la planète.
Le Jardin des Sens, délicieux jardin botanique qui permet à la Manufacture d’observer les végétaux, de toucher les textures, d’appréhender les couleurs de la nature au rythme des saisons et de ses métamorphoses.
Le Jardin d’Acier, composé de 8000 outils métalliques,
empreintes fidèles de végétaux simples ou sophistiqués, parfois méconnus, parfois disparus mais toujours stupéfiants de perfection. À leur côté, les éternelles « vieilles dames », presses à découper et à gaufrer le tissu sans l’intervention desquelles la fleur artificielle ne pourrait prendre vie.
Le Jardin de Soie, le cœur battant de la Manufacture, actionné par le jeu de petites mains habiles, expertes dans l’hybridation des matières, des couleurs et des textures.
C’est là que le miracle opère et que bourgeonnent la rose soie, le chrysanthème velours, la tulipe percale, la violette tarlatane et le gardénia plume.
Mémoires de près de trois siècles d’un patrimoine à préserver